Les récits de Yvan Gaudreault

 

Passages et escortes

 par Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord. – juillet 1970.

Voyage arctique – NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Nous venons à peine de quitter notre port d’attache, Québec, et déjà sept jours et sept nuits sont derrière nous. Pour apercevoir droit devant, à midi, l’île Résolution. Une forteresse située à l’embouchure du détroit d’Hudson. Relativement bien coffrée et d'une superficie de 392 milles carré, on dirait un triangle vue de haut. Bâtie en hauteur et d’une façade atteignant 30 milles nautiques en longueur. On dirait un château phare ; tant la vision est imprenable de ses quatre points cardinaux.

 

Majoritairement pour ces raisons, une station radio de communications marines de la garde côtière canadienne est sur place ; faisant une veille radio, 24 heures sur 24, durant la saison de navigation arctique. Dans le but d’assurer un lien avec les navires passants. Généralement jusqu’à la mi-octobre.  

 

Avant cela, on dit de cette île que les forces armées américaines s’installèrent de 1954 à 1973. Pour faire de la surveillance aérienne à l’aide de radars ; pour détecter et prévenir toute intrusion ou présence ennemie dans les corridors aériens du Canada.       

 

 

Nous voilà donc rendus aux frontières du royaume des glaces. Au large de ce château phare. Avec le détroit d’Hudson donnant accès vers l’Ouest, la baie d’Hudson et le bassin Foxe. Et au nord de notre position, le détroit de Davis donnant accès aux eaux intérieures du territoire Nunavut et au chenal de Parry ; une voie permettant de se rendre jusqu’à la mer de Beaufort.

 

En attendant de recevoir l’ordre d’une mission comme escorte, le commandant s’est planifié un itinéraire. Celui d’effectuer une patrouille dans la baie de Frobisher et dans le détroit d’Hudson par la suite.

 

Dans le livre de bord, dans les observations du quart de nuit, on mentionne que les vents viennent du sud soufflant vers les côtes du Nunavut ; une condition contraire à l’évacuation naturelle des glaces vers la mer. Résultat. Les glaces demeurent dans le détroit, poussées vers la terre. Et escorter un navire dans de telles conditions devient ardu. Parce que la glace se referme immédiatement derrière le navire de tête ; ce qui l’oblige de répéter certaines manœuvres plusieurs fois pour libérer la voie.

 

 

En ce moment, les prévisions météorologiques indiquent qu’il y aura un changement de direction des vents dans quelques jours. Une condition qui enlèvera le resserrement des glaces, et un pourcentage de celle-ci qui dérivera au large vers la mer.

 

L’hélicoptère quitte le navire en compagnie de l’observateur des glaces pour une patrouille dans le détroit d’Hudson en continuant vers l’ouest. Un vol de reconnaissance où l’observateur inscrira sur une carte spécialement conçue à cette tâche, les conditions de glace qu’il rencontrera sur les lignes d’envol, et celles observées au large sur son passage.

 

Il notera où se situent les bancs et la densité ; ainsi que les endroits où le détroit est libre de glace.

 

Ces données seront utiles lorsque l’on escortera un navire. Pour faire un choix du meilleur chemin à suivre pour nous faciliter la tâche.

 

 

Lorsque l’hélicoptère ne devient plus visible à l’horizon, le radiophare du navire est mis en marche ; un appareil électronique qui envoie un signal continu sur les ondes permettant au pilote de savoir où il est en tout temps ; même s’il ne voit pas le navire à l’œil nu.

Et c’est l’appareil de radio — détection installé dans l’hélicoptère qui sera ses yeux pour naviguer et retourner à bord en toute sécurité.

 

Pendant que nous poursuivons lentement notre course dans le détroit, nous pouvons observer de la timonerie, à tribord, une mère ours polaire et ses deux petits qui semblent se diriger de l’autre côté du détroit.

 

Une ballade plutôt audacieuse lorsque l’on considère que la largeur du détroit où nous naviguons s’évalue à 60 milles nautiques.

 

Le message que je viens de remettre au commandant, et avec le sourire après l’avoir lu, me donne l’impression que l’activité actuelle demeure sur les planches ; puisque les prochains navires estimés entrant dans le secteur sont dus dans trois jours.

 

 

Parlant de radio-Frobisher, la station dont je communique souvent. On dit que ce sont tous des opérateurs expérimentés qui travaillent aux consoles marines, afin de répondre efficacement à un haut achalandage pendant la saison de navigation dans ce territoire. Et je peux témoigner que ceux-ci ont le doigté rapide et précis sur une clé de télégraphie.  

 

Un peu plus tard de la même journée...

 

Un message de dernière minute a comme instructions de se rendre à  Diana Bay  (près de la baie d'Ungava) où un navire ravitailleur en produits pétroliers nous attend; pour remplir nos réservoirs de mazout.

 

Un navire comme le nôtre pourrait consommer tout le mazout à bord lors d'une ou deux semaines. Surtout lorsqu'il effectue de lourds labeurs. Où lorsquon navigue dans des secteurs où la glace du dernier  n'est pas encore cassée. 

 

Généralement pour un voyage nordique, on peut faire le plein d'une à trois fois. Et ce n'est qu'une estimation.

 

Après deux jours à l’épaule avec le navire ravitailleur, nos réservoirs sont pleins. Prêt à relever le prochain défi.

 

24 heures plus tard, les amarres sont larguées pour une mission de déglaçage à 100 milles nautiques et franc nord de notre présente position. Aux abords de *lake Harbour (Kimmirut); un petit village d’environs 450 inuits (eskimo).  

 

 

Sans surprise, à notre arrivée sur les lieux, la glace formée lors du dernier hiver n’a pas bronché d’un pouce. Sans crevasse ni signe de détériorations apparentes. Bref, nous arrivons dans une baie couverte que d’une seule et grande étendue glacée.

 

Ainsi débute une opération de déglaçage où le capitaine se frotte les mains de satisfaction. Parce qu’il est seul et n’aura pas à surveiller ses arrières pendant les manœuvres. Et que dans cette condition, la principale technique du bris des glaces est en principe de foncer tête baissée. Je m’explique.

 

Pour la plupart des brise-glaces de classe moyenne et dont le devant est en pente, un recul et une distance appréciable seront pris pour créer une bonne accélération. Pour ensuite foncer, crevasser et écraser la glace sous son poids.

 

Notre navire nouvellement commissionné détient un atout de plus ; et ce sont dans ses flancs. Les ballasts et les pompes avant de bâbord et tribord.  

 

Alors s’ajoute à la technique déjà décrite le transfert de l’eau d’un ballast à l’autre ; la création d’un bercement latéral activé par des pompes. Ayant comme résultat de glisser. Et cette impression nette de ramper sur la glace ; plusieurs mètres de plus.

 

Si invraisemblable et si peu visible à l’oeil nu soit-il, cette légère oscillation continue d’un côté à l’autre fait une différence appréciable dans ce genre d’opération.

 

Ainsi, le poids, la vitesse et le gîte alterné permettent au navire de se rendre plus loin ; l’empêchant de coller.

 

En image, on pourrait comparer ces mouvements comme un pingouin s’échouant sur la rive et continuant un bout en rampant avant de se lever.

 

Lorsque le navire arrête, le devant juché et à moitié hors de l’eau, les puissants moteurs à turbine sont inversés. Pour prendre un nouveau recul, retourner à une position de force ; pour foncer tête baissée. Et terminer la mission.

 

 

Depuis l’ouverture de la saison de navigation en région arctique, un avion du département de l’environnement effectue régulièrement des patrouilles pour observer et noter le mouvement des glaciers et des glaces des voies navigables du territoire Nunavut.

 

Et selon le message que nous avons reçu en matinée, nous pourrons entrer en contact radio dans l’heure qui suit ; dans le but de recevoir en direct, à l’aide d’un radiorécepteur-fac-similé que nous avons à bord, un rapport complet de la reconnaissance qui vient de se terminer.

 

Après quelques ajustements finaux afin de déterminer quelle est la meilleure fréquence radio pour recevoir les données, la transmission s’effectue sur les ondes pour notre navire, et pour tout navire qui est à proximité. Si celui-ci a à bord le même genre d’équipement pour recevoir ces informations.

 

La transmission de ces données dure environ 20 minutes, le temps qu’il faut pour le rapport s’imprime sur une feuille de 24 pouces par 24 pouces. En noir et blanc.

 

Cette feuille de données ressemble à une photo montrant les lieux des glaces, glaciers et icebergs. Ainsi que les endroits ouverts ou libres de glace.

 

Après cet envol, le département de l’environnement utilisera ces données pour faire des pronostics sur le déplacement des glaces ; en tenant compte de la direction des vents, des courants et des marées qui influencent leur déplacement.

 

Pour ensuite les diffuser sur les ondes radio marines que les navires passants pourront capter à l’aide d’équipement approprié ; s’ils en ont besoin.

 

 

Un message fraîchement reçu nous informe que nous avons rendez-vous avec un navire. Ce dernier désire traverser le détroit d’Hudson. Puis continuer jusqu’au port Churchill ; situé tout au fond de la baie d’Hudson. Notre mission. L’escorter jusqu’à sa destination, ou lorsqu’il pourra naviguer seul ; à l’eau libre de glace.

 

Les patrouilles de glace que nous avons faites au cours de la semaine sont d’une aide précieuse. Ces informations ajoutées au récent fac-similé vont nous permettre de choisir le meilleur chemin possible. Sans trop de heurts.  

 

Toutefois, il arrive lors de notre parcours de devoir faire certaines manœuvres répétitives et délicates. Celles d’avancer d’une longueur, puis d’en perdre trois. Afin que le navire derrière nous puisse aller de l’avant ; sans que certains morceaux de glace le gênent ou heurtent la coque.

 

Lorsque nous effectuons ce genre de travail, nous pourrions parrainer la citation de La Fontaine lorsqu’il écrit :

 

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

 

Yvan Gaudreault

Journal de bord.

Voyage arctique.

NGCC N.M. Rogers.

Fin du récit: Passages et escortes

 

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