Les récits de Yvan Gaudreault

 

Patrouilles et débarquements inusités

 par Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord. – juillet 1970.

Voyage arctique – NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Nous sommes présentement à environ 950 milles nautiques au nord du détroit d’Hudson. À patrouiller vaillamment le soixante-quatorzième parallèle ; entre les îles Bylot et Melville. Ce secteur arctique nécessite une plus grande vigilance de la part des officiers de quart. Dû à la présence de vieille glace des saisons précédentes ; dissimulée parmi celles de l’hiver qui vient de se terminer. Bien que le navire soit un brise-glace, nous devons naviguer lentement sans provoquer tout affrontement trop brusque ; afin d’éviter tout bris sérieux à la coque. C’est un adversaire sournois parce qu’elle est de la même couleur que la jeune glace ; mais d’une rigidité presque comparable à de la roche. Dans la timonerie, des observateurs expérimentés font le guet et rapportent tout ce qui peut être suspect à l’officier de navigation.

 

 

Nous continuons à patrouiller le secteur tout en rapportant par écrit les conditions des glaces. Une semaine plus tard, sous un régime de tortue, nous amène au large de l’île Bathurst située à l’ouest de la baie de Résolute. 

 

Nous sommes en 1970 et sur cette île se trouve un visiteur de classe et dans toute sa force. Le pôle Nord magnétique.

 

Un endroit ou une boussole se transforme vite en feu follet et qui ne peut être utilisé comme moyen de navigation. Que ce soit par voie de terre, par mer ou par l’air. Une condition qui s’applique à la majeure partie des Terres de Baffin à l’est. Dû à la présence au fort taux de minerai.

 

Nous continuons de naviguer en brisant la glace de plusieurs passages qui mènent à des sites habités. Dans le but de faciliter la tâche aux navires qui viendront les visiter pour le ravitaillement annuel.

 

Et à moins de recevoir un amendement à notre mission, nous continuerons le long de la baie de Baffin vers le sud et le détroit de Davis ; à visiter d’autres sites isolés tels que Clyde River, Cap Christian, Cap Hooper, l’île Broughton, et dans le fjord Cumberland jusqu’à Pangnirtung ; situé tout au fond.

 

Comme convenu, ce parcours fait déjà partie du passé ; puisque nous naviguons le long de la côte vers le sud dans le détroit de Davis.

Après cinq jours de patrouille et d’exploration de baies ; naviguant le long de la côte, nous arrivons finalement à l’entrée de la baie Frobisher. Pour y mettre l’ancre et demeurer en attente de l’arrivée d’un navire ; afin de l’escorter jusqu’au site de sa destination.

 

Profitant de quelques jours de relâche avant l’arrivée du prochain navire, nous entrons dans la baie à demi couverte de glace, pour y mettre l’ancre juste en face du village ; tout près d’un navire commercial qui s’est placé beaucoup plus près du rivage que nous. En attendant que la mer se retire, soit 30 pieds de dénivellation, pour commencer les opérations de débarquement.

 

J’aimerais spécifier que ce navire est spécialement conçu pour ce genre d’opération.

 

À la marée basse, le navire se retrouve à plat ventre, sans eau.

 

Et le branle-bas des opérations s'enclenche.

 

À bord du navire, un groupe d’hommes ouvrent les portes géantes des cales. Déjà des ouvriers sont à l’intérieur, tandis que les hommes assignés aux grues sont à leur poste ; prêts à manipuler le matériel pour le déchargement.

 

Pendant ce temps, des véhicules lourds quittent la rive et se dirigent vers le navire pour venir s’arrêter à bâbord et à tribord pour le chargement.

Sur le pont, deux hommes au casque blanc discutent entre eux et gèrent les opérations.

 

Les énormes crochets des grues accompagnés d’un bruit crissant se laissent dérouler jusqu’au fond des cales. Et quelques instants plus tard, ils y remontent chargés à pleines dents. À faire un virage vers le rebord et déposer le tout sur l’un des camions en attente.

 

 Les va-et-vient des camions du navire au rivage s’effectuent sans relâche. Jusqu’à ce que la mer signale sa présence et veuille reprendre son nid (marée haute).

 

Comme les heures sont précieuses et toutes comptées, le déchargement continue. Au moyen de barges ; dès qu’il y aura suffisamment d’eau pour manœuvrer jusqu’à la berge. Les deux méthodes de déchargement sont mises en pratique jusqu’à ce que toute la marchandise soit livrée.

Pendant ce temps, les communications radio entre les navires commerciaux qui sont dans le secteur et la station côtières la plus près vont bon train. Chaque matin, les commandants envoient à leur quartier d’attache leur position actuelle et le plan de la journée. Et à refaire la même chose en fin d’après-midi pour donner une mise à jour de leurs activités.

 

À noter que la majorité des communications se font par télégraphie.

  

Vers 0930h à chaque matin, les navires de la garde côtière entrent dans la parade. À échanger leur position entre eux et à donner un aperçu de leur mission. Peu importe où ils se trouvent.

 

En effet, grâce à l’utilisation de différentes ondes courtes, nous pouvons communiquer avec des navires relativement éloignés ; pouvant couvrir des distances au-delà de 1000 km.

 

Les spécialistes en radio à bord des navires de la garde-côtière sont des élites dans l’art de la télégraphie parce qu’ils sont très occupés dans différents échanges d’informations ; entre navires et avec différentes stations radio côtières.

 

Ce matin, nous cessons le guet et quittons la baie de Frobisher ; pour donner suite à la réception d’un message nous citant pour une nouvelle mission.

 

Le message que je viens de remettre au commandant cite que nous avons rendez-vous avec un navire de ravitaillement. Au large de l’île Résolution située à l’embouchure du  détroit d’Hudson.

 

La mission. Porter assistance au navire en lui créant un passage dans le détroit d’Hudson bondé de glaces. Et l’escorter jusqu’à Coral Harbour, situé sur l’île de Southampton et à l’extrémité nord de la baie d’Hudson.

 

 

Une fois faite, prendre sous notre aile un autre navire en provenance du port de Churchill au fin fond de la baie d’Hudson et l’escorter dans la baie Foxe jusqu’à Igloolik.

 

Le passage du détroit d’Hudson se fait dans un degré de difficulté facile à moyen jusqu’à Coral Harbour. En utilisant l’hélicoptère à bord de notre navire pour effectuer un vol de reconnaissance pour nous trouver le meilleur chemin à prendre pour la traversée.

 

Une fois rendus à bon port, nous communiquons avec le deuxième navire.

 

Une fois en contact visuel, les deux capitaines s’entendent d’une voie à suivre puis se donnent le signal d’un départ. Franc nord dans la baie Foxe et le village d’Igloolik.

 

Les 350 milles à parcourir pour se rendre à Igloolik se font dans un espace-temps assez court. Sauf aux abords du village où la glace n’a pas cédé d’un pouce.

 

Devant nous ce magnifique village où habitent 800 Inuit. Et une baie glacée.

 

On dit de cet endroit qu’il est l’un des plus beaux coins des Terres de Baffin. Que le tourisme est nourri par la présence de gens riches et célèbres. Et l’une des pièces de résistance serait l’église par son agencement artistique unique et exceptionnel.

 

 

Retournons à nos moutons.

 

D’un regard rapide, nous observons que la baie aux abords d’Igloolik est toujours occupée de la glace du dernier hiver. Et la constatation de devoir créer un passage le plus près possible de la berge ; afin que le navire puisse effectuer le déchargement.

 

Sous les ordres du commandant, notre navire se pointe lentement le nez vers la rive en fracassant la glace et en s’approchant le plus près possible de la berge ; en surveillant le profondimètre pour nous assurer qu’il y ait suffisamment d’eau sous la coque.

 

Puis, lentement, le navire recule sur la trace qu’il vient de former ; une distance d’un kilomètre pour se sortir de ce frais sillon.

 

À son tour, le navire ravitailleur fait son entrée dans cette trace toute fraîche, jusqu’au bout de la voie. Maintenant sans issue et entouré de glace sur trois côtés, il ne reste que de lancer les amarres sur la glace. À quelques mètres plus loin.

 

L’arrivée du navire ne passe pas inaperçue et déjà, plusieurs membres du village s’approchent à pied, avec curiosité et frénésie. Tandis que certains villageois s’approchent en skidoo tirant un traîneau ; et d’autres s’amènent fièrement avec leur traîneau tiré par des chiens.

 

Comme il est souvent coutume pour un capitaine et son équipage à l'arrivée dans un village, une visite à bord est de mise puisqu'elle crée beaucoup de joie.

 

Ainsi, plusieurs matelots auront apporté avec eux des objets précieux à échanger avec les villageois.

 

Ce genre d’échanges et de fraternisation stimulent le cœur de marins qui s’ennuient ; éloignés des êtres chers depuis des semaines. Et des gens du village qui en auront pour des mois à parler de ces voyageurs qui ont parcouru des milliers de milles pour les voir et leur porter des vivres.

Quelques heures plus tard ; et comme le temps est précieux et que les jours sont comptés avant que les glaces reprennent, tous s’y mettent pour le déchargement et le transport au village.

 

Jour et nuit, faute de ne pouvoir utiliser des camions sur une glace douteuse, les manœuvres à bord chargent les traîneaux d’une part, et déposent la marchandise directement sur la glace afin de respecter le temps et l’itinéraire du voyage. 

 

Ici dans ces régions arctiques, la saison navigable ne dure que quelques mois. Et entre nous, qui voudrait demeurer prisonnier des glaces une année durant ?

 

Oui, la survie des gens habitant ces sites isolés dépend de ces livraisons. Eh oui ! les produits pétroliers valent plus que l’or ; avec ces hivers extrêmes et mordants.

 

Yvan Gaudreault

Journal de bord. 1970.

Voyage arctique

NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Fin du récit: Patrouilles et débarquements inusités

 

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